mardi 9 juin 2015

L'art nous détourne-t-il du réel ?

Opinion commune :

    Se détourner du réel consiste à ne plus être attentif à la réalité mais à un avatar de cette réalité. Se détourner du réel, c’est se rapprocher de l’irréel : c’est croire (et non savoir) que l’irréel est le réel véritable (c’est en cela que consiste l’illusion). Or, cette illusion n’est-elle pas la finalité même de la création artistique ? L’art réaliste cherche, par exemple, à se substituer au réel. Cet objectif de la création artistique atteint le paroxysme dans l’art du trompe-l’œil.

Art = Illusions

Contre-argument :
Cependant, la création artistique n’est pas essentiellement réaliste. En effet, d’autres mouvements artistiques ne cherchent pas à imiter le réel pour se substituer à lui mais visent l’expression la plus sincère d’un sentiment par exemple. L’art ne nous détournerait alors pas du réel : au contraire, il serait la voie privilégiée d’accès à une réalité indicible autrement que par la création artistique.

Art = Moyen d'accès au réel

Problématique :
    La question est alors de savoir si la création artistique (et artisanale) a pour finalité essentielle d’imiter le réel en vue de se substituer à celui-ci, et, par là, de faire illusion, ou bien si l’art des artistes peut consister en d’autres choses, d’autres formes d’expression qui, au contraire, nous rapprocheraient de la réalité.


I / La création artistique a pour finalité de se substituer au réel :

A / Trompe l’œil et réalisme :

    L’anecdote de Zeuxis :
« On dit encore que Zeuxis peignit plus tard un enfant qui portait des raisins : un oiseau étant venu les becqueter, il se fâche avec la même ingénuité contre son ouvrage, et dit : « J’ai mieux peint les raisins que l’enfant ; car si j’eusse aussi bien réussi pour celui-ci, l’oiseau aurait dû avoir peur. ». […]
Parrhasius, dit-on, offrit le combat à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité, que des oiseaux vinrent les becqueter ; l’autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, tout fier de la sentence des oiseaux, demande qu’on tirât enfin le rideau pour faire voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s’avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu que lui n’avait trompé que des oiseaux, mais que Parrhasius avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. »

Pline l’Ancien, Histoires Naturelles, XXXV, 36


En gagnant en maîtrise de la technique de la peinture, l’Homme a pu se livrer à des trompe-l’œil qui font toujours plus illusion (du moins que les exemples classiques cités précédemment) :

  • Richard Estes, Bus Reflecting, 1972 : (peinture)
     

       
    Le réalisme :

Flaubert (1821 – 1880), Madame Bovary, 1856

« Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. »
Maupassant, Pierre et Jean, 1888, Préface : « Le roman »

    - Daumier, Le Wagon de troisième classe, 1864 (Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa) :

Ici, l’illusion passe par la lumière.

  • Millet, Des glaneuses, 1857, 83,5x110cm (Musée d’Orsay, Paris) :

On remarque que le peintre réaliste ne cherche pas uniquement à imiter la nature : son sujet est également social.

    Le naturalisme :

Zola (1840 – 1902)

    - Dürer (1471 – 1528) :
 

  • Willem Kalf (1619 – 1693), Pays-Bas, Nature morte avec homard :


- Grande nature morte aux armes et armures, 1643 à 1645 (Le Mans) :
    La perspective :
  • Claude Gellée, Ulysse remet Chryséis à son père, 1644 (Louvre, Paris) :

L’impressionnisme, avec ses jeux de reflets, cherche à rendre le monde tel que nous le percevons. En cela, ce mouvement artistique, dont Monet est l’un des chefs de file, s’inscrit encore dans la conception de l’art comme imitation du réel.
  • Monet, Impression soleil levant, 1872, Huile sur toile, 48x63cm (Musée Monet, Paris) :


B / La création de « simulacres » (Platon) :

Les trois degrés de réalité du lit : dessin < lit concret < Idée de littéraire

L'Allégorie de la Caverne :



Transition :

    L’art, que l’on considère les produits de l’artisanat ou les productions artistiques, semble donc être essentiellement un divertissement volontaire de la réalité au profit de ce que nous donne à voir l’artiste. L’œuvre de l’artiste est alors si vraisemblable que le spectateur naïf pourrait la prendre pour la véritable réalité qu’elle prétend être.

Pourtant, l’art pourrait consister en d’autres choses qu’en cette volonté de tromper le spectateur. L’art ne serait-il pas alors le moyen privilégié d’accéder à la réalité qui, autrement, nous échapperait ?


II / La création artistique est le moyen privilégié d’accéder au réel :

A / Ce qu’exprime l’art :

    • Munch, Le cri, 1893, 102x205cm (Musée Munch, Oslo) :


« D’une façon générale, le but de l’art consiste à rendre accessible à l’intuition ce qui existe dans l’esprit humain, la vérité que l’homme abrite dans son esprit, ce qui remue la poitrine humaine et agite l’esprit humain. »
Hegel, Esthétique


Ce que peut faire l'art : Waste Land




Conclusion : Art = Soit tromperie dont il convient de se détourner ; Soit accès à la réalité pour la transformer





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