mercredi 17 juin 2015

BAC S 2015 : - Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?


-         Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?

            Une œuvre d’art, une production d’artiste, semble toujours avoir un sens du fait même qu’elle soit l’œuvre d’un artiste ayant eu une intention avant de la créer. L’œuvre d’art, trace concrète de l’intention de l’artiste, aura pour toujours la signification que son créateur lui a attribuée, et ce pour toutes les œuvres d’art.
Cependant, on peut interroger le fait que cette signification soit pérenne dans le temps ; se poser la question de savoir si l’attribution d’une signification unique concerne toutes les œuvres d’art, et même supposer l’absence de toute signification dans l’œuvre d’art.
Remettre en cause le fait qu’une œuvre d’art ait toujours un sens, c’est noter le fait qu’une œuvre puisse avoir une signification, voire une utilité dans un contexte historique précis, mais, qu’avec le temps, celle-ci puisse s’atténuer, voire disparaître. Une œuvre religieuse médiévale pouvait illustrer un débat théologique qui n’a plus cours actuellement : l’œuvre aurait alors perdu de son sens, elle n’aurait plus lieu d’être.
L’œuvre d’art n’a pas toujours de sens : certaines œuvres, au contraire, sont volontairement dépourvues de tout sens imposé. Le spectateur aura alors à y placer le sens qu’il juge légitime en interprétant la proposition artistique.
Mais, faire une œuvre qui n’a pas de sens pour qu’elle puisse être librement interprétée, n’est-ce pas là encore donner une signification à son œuvre ?


I / L’œuvre d’art n’a pas toujours un sens unique, une unique signification.

Il y a une évolution dans la réception de l’œuvre.

Exemples :

-          Des œuvres médiévales, religieuses notamment, peuvent avoir perdu de leur intérêt.

-          Des œuvres jugées choquantes sont maintenant jugées, comme étant poétiques (Baudelaire, Les Fleurs du Mal), comme étant romanesques (Flaubert, Madame Bovary), comme étant naturalistes (Zola).

Il y a donc une évolution du sens attribué à une œuvre d’art : l’œuvre n’a pas un seul sens pour toujours.
Concernant les œuvres à caractère religieux, elles sont désacralisées en étant placées dans des musées. Le fait de prier devant des tableaux est remplacé par la contemplation esthétique du génie et du travail de l’artiste : l’œuvre d’art avait un sens religieux, et elle en a dorénavant un sur le plan de l’histoire des arts. Ce déplacement de l’intérêt que nous avons pour les œuvres de l’art religieux montre qu’une œuvre n’a pas un seul sens pour toujours.

Sur la désacralisation de l’art :

« l’art a pu devenir en Grèce la plus haute expression de l’Absolu et la religion grecque celle de l’art même. Sous tous ces rapports, l’art reste pour nous, en ce qui concerne sa destination suprême, quelque chose du passé. Ce qu’une œuvre d’art suscite désormais en nous, c’est, en plus de la jouissance immédiate, notre jugement, dans la mesure où nous soumettons à notre examen réfléchi non seulement le contenu, mais les moyens de représentation de l’œuvre d’art, et l’adéquation ou l’inadéquation de ce contenu et de ces moyens. Nous avons beau trouver les images des dieux grecs incomparables, et quelles que soient la dignité et la perfection avec lesquelles sont représentés Dieu le Père, le Christ, la Sainte Vierge, quelle que soit l’admiration que nous éprouvons à la vue de ces statues, rien n’y fait : nous ne plions plus les genoux. »
Hegel, Esthétique, I


II / Les œuvres d’art sans sens :

Exemples :

-          Dans le mouvement surréaliste, les écrits poétiques aléatoires, comme le cadavre exquis, des membres de l’Oulipo.

-          Les œuvres oniriques, comme L’écume des jours de Boris Vian.

Dans ces deux cas, c’est la libre interprétation de la proposition artistique qui est promue : l’artiste ne doit pas être un tyran qui impose une unique signification à son œuvre, un unique message à transmettre au public. C’est au public de reconstruire, et même d’attribuer du sens à ce qui n’en a pas. C’est la « mort de l’auteur » (Roland Barthes) au profit du pouvoir absolu du lecteur de s’approprier ce qu’il lit : le lecteur dépossède l’auteur de son œuvre en l’interprétant, en y ajoutant d’autres significations, en trouvant du sens là où, pour l’artiste, il n’y en avait pas. A l’extrême limite, le lecteur aurait le pouvoir de rayer le nom de l’auteur sur le livre qu’il est en train de lire, étant donné qu’il est en train de se l’approprier :

« Donner un auteur à un texte, c’est imposer à ce texte un cran d’arrêt, c’est le pourvoir d’un signifié dernier, c’est fermer l’écriture. »
Roland Barthes, « La mort de l’auteur », 1968

« La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur. »
Roland Barthes, Sur Racine


En somme, l’artiste fait, et, une fois cela terminé, c’est au public de faire : l’auteur n’a plus son mot à dire.

« Quant à l’interprétation de la lettre, je me suis déjà expliqué ailleurs sur ce point ; mais on n’y insistera jamais assez : il n’y a pas de vrai sens d’un texte. Pas d’autorité de l’auteur. Quoiqu’il ait voulu dire, il a écrit ce qu’il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens : il n’est pas sûr que le constructeur en use mieux qu’un autre. Du reste, s’il sait bien ce qu’il voulut faire, cette connaissance trouble toujours en lui la perception de ce qu’il a fait. »
Paul Valéry, « A propos du Cimetière marin »

« Mes vers ont le sens qu’on leur prête »
Paul Valéry, Charmes, 1922, Préface


C’est d’ailleurs ici la dignité du travail de l’auteur que de proposer une œuvre laissée libre d’interprétation : le mauvais auteur, c’est celui qui impose une signification unique, c’est le despote de la littérature par lequel on perdrait le plaisir de l’interprétation.

« Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire. »
La Fontaine, Fables, 1668, V, I : « Le Bûcheron et Mercure », Vers 6

« Les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs œuvres devraient changer de métier. »
Milan Kundera, L’art du roman, « Discours de Jérusalem »


III / Or, proposer la mort du sens dans l’œuvre d’art, c’est imposer un rôle à l’art : livrer quelque chose à l’interprétation.

Ainsi, on ne sort jamais d’une œuvre significative, que ce sens soit celui imposé par l’auteur ou celui mis en l’œuvre par le spectateur : le pur absurde n’existe pas. Ce qui paraît absurde peut toujours avoir un sens.
En effet, on peut toujours soupçonner, dans une œuvre d’art, une signification inconsciente, car l’art n’est que la sublimation de pulsions refoulées selon Freud. Le travail de l’interprétation s’apparente ici au travail du psychanalyste qui doit retrouver le sens inconscient du comportement de l’artiste. Il s’agit ici, souvent, de la projection de notre propre inconscient névrosé de spectateur sur l’œuvre d’art lors de la contemplation du travail de l’artiste : on cherche une raison inconsciente à son œuvre qui paraît absurde en scrutant notre propre inconscient.

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