dimanche 7 juin 2015

La religion est-elle raisonnable ?


« C’est l’office de la philosophie de tout comprendre, même la religion. »
Jules Lachelier (1832 - 1918)

Définition des termes :

Le terme « religion » vient du latin religere qui signifie relier, c'est-à-dire, notamment, relier entre eux les individus qui composent une communauté unie par une même religion.
Ainsi, lorsque l'on parle de religion, il faut avoir à l'esprit deux dimensions :
-          l'individuelle, c'est-à-dire le plan des croyances personnelles
-          la collective, c'est-à-dire la manifestation sociale, publique, de notre appartenance à une religion au sens d'institution permettant l'unité d'une communauté.

Se demander si cette religion est raisonnable, publique et privée, c'est se demander s'il est raisonnable, c'est-à-dire, ici, souhaitable, de mettre en place une religion et de la maintenir dans notre existence.
Le terme « raisonnable » renvoie également, plus essentiellement, à ce qui est relatif à la raison, à l'usage de cette raison qui est la faculté humaine de comprendre les choses en les expliquant.

Première réponse :

La religion est déraisonnable car :
-          Conflits
-          Intégrisme, Fanatisme

-          Croyances religieuses = Illusions risquées

-          Sentiments > Raison

Objection :

-          Organisation sociale
-          Echanges inter-religieux, Dialogue

-          Recherche de sens pour son existence personnelle

-          Présence de la raison en religion : la théologie.


Problématique :

            La question est alors ici de savoir si la religion, considérée à la fois comme ensemble de croyances et comme pratique d'un culte, dépend en son essence d'un usage de la raison ou bien si elle n'est qu'une manifestation de l'irrationalité qui, peut-être, ne serait pas souhaitable.


I / L'irrationalité de la religion : la religion du sentiment.

-          Conflits
-          Croyances religieuses = Illusions, menant à l’obscurantisme
-          Sentiments > Raison

A / La religion est déraisonnable aux yeux de la société :

Conflits :

-          Croisades
-          Espagne du XVIème siècle (Isabelle la Catholique [1451 – 1504]) contre les juifs et les musulmans
-          Jihad

Conflits inter-religieux :

-          Ariens persécutés au début de l’ère chrétienne à cause de leur refus du dogme de la Trinité
-          Saint-Barthélemy (24 août 1572) : massacre à Paris des protestants par les catholiques
-          Schismes divers


B / Elle l’est également sur le plan individuel :

-          Manque de prudence car manque de preuves
-          Obscurantisme religieux

Exemple : Le créationnisme.

-          Croyances religieuses = Illusions

Texte de Freud (1856 Autriche - 1939) :


« Ces idées [les idées religieuses], qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un formidable allégement pour l'âme individuelle que de voir les conflits de l'enfance émanés du complexe paternel - conflits jamais entièrement résolus -, lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous.
     Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. »

Freud, L'avenir d'une illusion, 1927, Section VI


«    Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. »
Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843 - 1844


C / La foi religieuse se vit sans faire appel à la raison :

Le cœur chez Pascal est la faculté de connaître de manière immédiate, irréfléchie, une vérité : Dieu se révèle à notre cœur, et non à notre raison.  



« Le dieu des philosophes et des savants n'est pas le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. »
Pascal

Texte de Pascal :

« Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent, et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut.
   Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments […]. Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation ; c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même. »

Pascal, Pensées, 1669 (posthumes)


II / De la raison en religion :

A / Le cœur ne s’oppose pas à la raison :

            Chez Pascal, le cœur permet tout de même une connaissance, bien que celle-ci soit différente de celle de la raison.

B / L’attitude religieuse peut naître d’une démarche rationnelle : le pari.

Pour Pascal, il faudrait procéder à un calcul d’intérêt en religion : il est préférable pour l’homme de se comporter comme le demande la religion, plutôt que de risquer d’avoir perdu sa vie en se divertissant.

C / La théologie : la présence de la raison en religion.

-          Théologie : Science qui traite de Dieu, de son existence et de ses attributs, soit par l’argumentation (théologie rationnelle ou critique), soit par l’étude des textes sacrés (théologie révélée ou dogmatisme).

« La théologie est la reine de toutes les sciences. »
Saint-Thomas d’Aquin (1224, 1225 ; 1274)


III / Enjeux sociaux :

-          L’intérêt politique de la religion :

« L’histoire romaine […] prouve que la religion est utile pour commander les armées, pour réconforter le peuple, pour maintenir les gens de bien et faire rougir les méchants. »
Machiavel, Sur la première décade de Tite-Live, 1531 (posthume)


-          La dimension éthico-morale de la religion : 

Il faut bien agir selon le discours religieux, c’est-à-dire respecter la morale universelle. Cela a un intérêt politique, social. Rousseau propose alors de fonder une religion laïque, une religion d’Etat, faite de cérémonies pour inciter à la vertu.


Conclusion :

            Ainsi, afin de répondre à la question, nous sommes maintenant en mesure de dire que la religion semble ne pas être relative à la raison mais propre au sentiment sur le plan du vécu personnel. Bien qu’il y ait la théologie, le croyant vit d’abord sa relation avec son Dieu, et non au travers de discours rationnels. La religion serait alors ici raisonnable, souhaitable, en cela qu’elle permet l’unité d’une communauté. Cependant, pour cela, pour vivre une religion raisonnable, acceptable, il faut se garder du fanatisme. 


Citations sur la religion


« La religion est une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort. »

Bergson (1859 – 1941), Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932



« La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle dérive du complexe d’Œdipe, des rapports de l’enfant au père. »
Freud, L’avenir d’une illusion, 1927

« Un canonnier me demandait un jour ce que je pensais des religions ; il était pieux ; et il voyait bien que je ne l’étais guère. Je lui fis une réponse de premier élan, et qui me paraît encore bonne : « La religion, lui dis-je, est un conte, qui, comme tous les contes, est plein de sens. Et l’on ne demande point si un conte est vrai. »

Alain



 

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