jeudi 18 juin 2015

BAC ES 2015 : - La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?


-         La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?

            Il semble évident de dire que nous ne sommes pas originaux. En effet, notre personne, aussi individuelle soit-elle, ne semble être constituée que d’un ensemble d’influences diverses. Qu'’st-ce qui, en moi, en tant qu’individu, en ma conception mentale des choses que me permet ma conscience, m’est spécifique ? Ce que je pense être les véritables valeurs morales universelles telles que le juste, le bon, ou l’équitable, ne sont en moi que les produits de mon éducation. Ce que je considère être le comportement normal n’est que la conséquence de ma familiarité avec les us et coutumes du groupe social auquel j’appartiens. Même ma manière de penser, d’organiser mes idées, semble être due à un certain conditionnement de mon esprit, à une normalisation de ma réflexion, à une standardisation sociale de la pensée. Si l’on élargit le champ auquel s’applique le terme de conscience, c’est-à-dire si l’on parle de la vie psychique dans toute sa complexité sans se limiter au Moi conscient, alors nous pourrons dire que la société dans laquelle nous évoluons exerce une pression même sur notre inconscient dans lequel elle s’immisce. Ainsi, la totalité de ce que nous considérons comme étant le siège mental de notre identité serait façonnée, modelée par le cadre social dans lequel nous évoluons.
Cependant, si la totalité de ce que nous sommes n’est que le produit de notre société, comment expliquer que cette société puisse évoluer en se réformant de l’intérieur ? Comment expliquer l’existence même de révolutionnaires, dans les domaines les plus divers, qui viennent s’opposer au diktat de la société, à la pression de la masse qui cherche l’aseptisation des esprits ? Si la société fait chacun d’entre nous, elle ne permettrait jamais, pour sa survie, que l’on puisse penser contre elle. Pourtant, il y a bien quelques brebis galeuses qui, petit à petit, contaminent le troupeau en y diffusant des idées nouvelles, à contre-courant. L’existence d’esprits libres, qui peuvent ne pas être en accord avec la masse, montre que nous ne sommes pas que des produits, des reflets, des pâles copies de ce que la société place en exemple à suivre. Chacun d’entre nous est un esprit original, doté d’une capacité réflexive qui permet de tout interroger, de tout remettre en question : et c’est cette liberté qu’il conviendra de protéger.
            La question est alors ici de savoir si nous ne sommes que ce que la société nous dit d’être, tant en termes de pensées qu’en termes de comportements qui suivent des valeurs, ou bien si, au contraire, nous sommes des esprits libres, originaux, pouvant se départir de toutes les influences.
            Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord en quoi il semble légitime de penser que nous ne sommes pas originaux, mais, au contraire, tous semblables, en nos esprits, à ce que dicte la société. Cependant, il conviendra de relever l’existence d’esprits s’opposant à la société et à ses traditions, démontrant alors leur liberté. Enfin, il nous faudra nous interroger sur la dette que nous avons à l’égard de notre société qui nous a formés, bien que, parfois, en nous inculquant certains préjugés.


I / Ce qui se reflète en nous de notre société :

En termes de contenus de pensée :

-          Les préjugés de la masse qui sont dus aux traditions, aux coutumes, aux mœurs. La société nous transmet ici un système de valeurs.

-          L’idéologie.

Marx explique que l’idéologie dominante est toujours celle de la classe des puissants.


En termes de façons de penser :

Exemple : Le scientisme, l’adoration du progrès technique : nous pensons la quasi-totalité des choses qui nous environnent sur le mode mathématique, scientifique. C’est l’utilitarisme, c’est-à-dire le fait de n’avoir en tête que l’utilité (à court terme) des choses.


Si l’on considère le terme de conscience en son sens élargi, c’est-à-dire en parlant de la vie psychique et non plus uniquement du Moi conscient au sein duquel nous avons accès à nos pensées, alors la question interroge également les deux autres instances de la vie psychique pensées par la psychanalyse freudienne que sont le Ca et le Sur-Moi.

-          Le Sur-Moi :

Le Sur-Moi est évidemment le reflet de notre société étant donné qu’il est constitué par l’intériorisation des règles sociales, des interdits culturels.
Ce Sur-Moi sert à guider notre comportement en le normalisant, en l’humanisant par le refoulement (bien que cela soit au prix de la névrose qu’il conviendra de prendre en charge par la cure psychanalytique afin de prendre conscience de nos conflits intérieurs pour mieux vivre avec eux). L’éducation est donc l’œuvre d’inscrire la société et ses règles au cœur même de la vie psychique, pour que le sujet obéisse de lui-même, sans disposer du contrôle conscient qui lui permettrait de choisir à quoi il obéit.

-          Le Ca :

Le Ca, c’est-à-dire le siège de nos pulsions, semble lui aussi imprégné par notre société. Sous son apparence de naturalité, de bestialité même, il est en réalité refaçonné par la société, c’est-à-dire par l’artifice humain que l’on nous impose, jusque dans notre inconscient, dans le cadre économique.

Exemple : La pornographie, diffuse dans la société de l’image qu’est la nôtre, dicte nos pulsions. La société crée nos fantasmes : c’est un conditionnement.

Cet inconscient artificiel, industriel même, s’exprime involontairement en nous par les rêves, même si ceux-ci sont, le plus souvent, de l’ordre du symbole.


II / L’existence d’esprits libres :

Or, cela voudrait dire que nous n’avons pas d’individualité propre, d’originalité, de spontanéité singulière : nous ne serions que ce que notre société a bien voulu que nous soyons.
Cependant, comment expliquer alors ceux qui s’inscrivent en faux à l’égard de leur société ? Comment expliquer l’existence même des iconoclastes, des briseurs de traditions, d’habitudes sclérosées ? Comment pourrait-il naître un esprit si puissant qu’il résisterait à l’idéologie dominante en ne se réduisant alors pas à n’être qu’un produit de son groupe social d’origine ? Si nous ne sommes que des pâles copies formées dans le même moule social, alors il n’y aurait jamais de révolutionnaire, jamais de renouveau. Or, ce renouveau existe : c’est d’ailleurs le moteur même de l’Histoire qui n’est faite que de ruptures, en témoignent les révolutions scientifiques (exemples : Giordano Bruno, Copernic, Galilée, Freud, …), l’histoire de l’art, l’histoire des idées. Or, pour que ces ruptures existent, il a bien fallu des hommes, des individualités originales qui aient le courage de s’opposer à la pensée commune, ambiante, majoritaire, même s’il a fallu le payer de leur vie (Giordano Bruno fut brûlé vif par l’Inquisition pour avoir soutenu la thèse héliocentriste, s’opposant ainsi au géocentrisme de l’Eglise d’alors). Ainsi, nous sommes avant tout des individualités libres, notamment sur le plan de la pensée.


III / Ce que nous devons à la société :

Il faut conserver à tout prix cette liberté de conscience qui est notre capacité à exercer notre esprit critique en interrogeant notre tradition, nos règles sociales, politiques, étatiques, ainsi que l’idéologie à laquelle la masse voudrait nous faire adhérer.
Or, pour ce faire, il faut d’abord avoir des préjugés, avoir une éducation qui nous transmet des traditions, des valeurs, et l’idéologie, le préjugé, de notre société.
Ainsi, il est bon d’être influencé par notre société, bon que notre conscience soit le produit façonné par la masse pleine de préjugés, pour pouvoir s’en libérer : c’est là le parcours de l’Esprit qui doit nier le premier mouvement de la pensée pour mieux comprendre ce que nous avons à penser, selon Hegel. C’est là le parcours de la philosophie dans sa méthode (socratique) : interroger les préjugés pour s’en libérer, pour avoir un point de vue critique sur eux, sur notre société, sur ce qui a fait notre éducation et envers quoi nous avons une dette, que cette éducation nous ait emmenée dans de mauvaises voies comme dans de bonnes. Il faut avoir connu le préjugé pour connaître de manière plus assurée :

« Il faut avoir fait l’expérience de la vraie croyance pour pouvoir jouir du frémissement de la libération. »
Allan Bloom, L’Ame désarmée, « The closing of the American mind » (« La grande vertu de notre époque »), 1987

Ainsi, nous devons être reconnaissants envers ceux qui nous ont appris des préjugés, car c’est là la première étape vers la libération par le savoir critique :

« Il faut aimer son lieu et aimer son temps mais on pense contre son lieu et contre son temps car penser c’est s’universaliser. »
Bernard Bourgeois

Il faut avoir connu le particularisme du préjugé de notre société pour pouvoir, par l’esprit critique qui pense, se hisser au degré universel.
La véritable éducation consiste alors en le fait d’inculquer certaines valeurs traditionnelles, même s’il s’agit là de préjugés, mais, surtout, tout en laissant la possibilité d’interroger la culture enseignée : l’éducation ne doit rien rendre sacré au point que cela devienne intouchable, imprononçable, tabou. L’éducation doit ouvrir la réflexion, et non la fermer par le conformisme, par le conditionnement. Le but de l’éducation reste donc l’autonomie, comme le pensait Kant, la véritable liberté.
Le meilleur des régimes politiques est donc la démocratie car elle laisse la possibilité de l’interroger, de la critiquer même, sans représailles : c’est le seul régime qui permet le libre exercice de la philosophie.
Attention toutefois aux dérives sectaires de certains démocrates qui sacralisent certaines notions, ou certaines instances : la laïcité, qui tend à devenir un athéisme qui ne dit pas son nom ; aux Etats-Unis, la Constitution, qui est inviolable, même concernant le port d’armes ; la liberté d’expression, qui ne peut être interrogée sans que le soupçon vienne s’immiscer dans les débats ; la démocratie elle-même.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire